Préserver la souveraineté en santé

Face à l’augmentation des maladies chroniques, aux tensions démographiques sur les professions de santé et aux fragilités économiques du modèle, la question de la souveraineté en santé est devenue centrale.

C’est autour de ce fil rouge qu’a été organisée la grande table ronde d’ouverture d’Horizon Santé 360, animée par Dominique Pon, en présence de trois grands acteurs du système : Nicolas Revel, Directeur Général de l’AP-HP, le Pr. Stéphane Oustric, président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, et Marguerite Cazeneuve, Directrice Déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Tous trois ont livré une analyse lucide et sans détour des transformations nécessaires pour préserver, demain, un modèle de santé à la fois souverain, solidaire et soutenable, un système fragilisé par la montée des maladies chroniques.

Un système fragilisé par la montée des maladies chroniques

Pour Nicolas Revel, « si l’on devait définir d’un mot le grand enjeu de notre système de santé, c’est la maladie chronique.»

La France compte aujourd’hui près de 25 millions de patients chroniques, un chiffre qui devrait atteindre 30 millions en 2035. Ce basculement démographique et épidémiologique impose de repenser en profondeur la manière dont le système est organisé.

« Nous faisons face à une dynamique de progression extrêmement forte, » a-t-il expliqué. « Quand on combine vieillissement de la population et augmentation des pathologies, on arrive à une croissance quasi inévitable des besoins de santé. »

Mais cette évolution se heurte à trois contraintes qu’il compare à un « triangle des Bermudes » : la disponibilité des professionnels, l’accès aux soins et la soutenabilité économique.

« On ne peut pas se contenter de former plus de médecins : il faut les fidéliser, leur redonner du sens et les orienter vers les spécialités et les modes d’exercice où les besoins sont les plus forts. »

Côté finances, le diagnostic est tout aussi clair. « La dépense de santé progresse naturellement de 4,5 % par an, quand nous ne pouvons en absorber que 2,5 % sans creuser le déficit. »

Cette équation conduit à des arbitrages difficiles et à une régulation souvent subie. « Pendant des années, on a essayé de tenir la trajectoire en baissant les tarifs des hôpitaux ou des produits de santé. Mais ce levier a atteint ses limites et a fragilisé les conditions d’exercice. »

La voie à suivre, selon lui, est ailleurs : qualité,
prévention et organisation.
« Notre système reste très performant en soins aigus : quand un patient chronique décompense, il est bien soigné. Mais le vrai sujet, c’est le suivi. » Avec les outils numériques et les données désormais disponibles, il devient possible « d’organiser un suivi réactif à domicile, d’intervenir avant que le patient n’arrive aux urgences ».

Une réorganisation en profondeur, qui suppose de nouveaux modes de financement, mais aussi une mobilisation de tous les acteurs : ville, hôpital et acteurs du numérique.

« C’est un pari gagnant : pour les patients, pour les soignants et pour la soutenabilité du système. »

Redonner au médecin sa place de coordonnateur

Le Pr. Stéphane Oustric a partagé ce constat, mais l’aborde sous un autre angle : celui de la place du médecin dans l’écosystème de soins. « Nous devons réaffirmer la place centrale du médecin, non pas comme chef, mais comme coordinateur. La coordination, ce n’est pas dominer : c’est fédérer autour du patient. » Le président de l’Ordre a déploré un système encore trop hospitalo-centré, alors que « le citoyen vit dans son territoire, à domicile, entouré d’autres professionnels de santé ».

Il a plaidé pour un rééquilibrage entre ville et hôpital et pour une « graduation des soins » adaptée aux besoins de chaque patient. « On doit casser les clivages idéologiques et retrouver un respect mutuel entre professions. Tant qu’on ne respectera pas les médecins et, plus largement, l’ensemble des soignants, ce sera compliqué. »

Pour lui, la souveraineté en santé n’est pas qu’une affaire de données ou de serveurs : c’est d’abord une question d’autonomie professionnelle et de responsabilité collective. « Pendant la crise, on s’est demandé : est-ce que la donnée part à l’extérieur ? Il n’y a pas eu deux fois la question : c’est chez nous. C’est impensable de perdre la donnée.»

Il a insisté sur la nécessité de mieux former les médecins au numérique, sans les couper de leur cœur de métier : « On ne devient pas expert en data du jour au lendemain. Il faut apprendre, travailler avec les autres, grandir ensemble. »

Cette capacité à coopérer sera décisive pour préparer l’avenir. « En 2040, nous serons 500 000 médecins, mais pour quels besoins ? Nous devons organiser cette montée en charge, répartir les compétences, anticiper les territoires en tension. » Et d’ajouter : « Je ne veux pas qu’on laisse des départements entiers sans cardiologue ou sans ophtalmologiste. » Pour lui, la souveraineté, c’est aussi  l’accès équitable aux soins sur tout le territoire, et la capacité à maintenir un tissu médical homogène.

Soutenabilité et souveraineté : le double défi de l’Assurance maladie

Marguerite Cazeneuve, pour sa part, a replacé le débat sur un plan à la fois financier et industriel. « Nous pouvons assurer la soutenabilité de l’assurance maladie, » affirme-t-elle, « à condition de mobiliser nos immenses marges de manœuvre en matière de prévention. »

Elle a distingué trois niveaux :

  • La prévention tertiaire, c’est-à-dire l’accompagnement des patients chroniques, que l’assurance maladie soutient déjà;
  • La prévention secondaire, le dépistage et le diagnostic précoce, où « la France reste dramatiquement en retard » ;
  • Et la prévention primaire, qui reste un horizon à renforcer à travers les politiques publiques.

« Aujourd’hui, un patient diabétique sur trois est encore diagnostiqué au stade 3, à l’hôpital, alors que nous avons les moyens de l’identifier plus tôt », a t-elle souligné. «De même, les troubles du neurodéveloppement sont diagnostiqués vers sept ans en moyenne : c’est trop tard. »

Cette défaillance structurelle appelle une refonte du premier recours : « Nous avons besoin d’un système capable de repérer plus tôt, d’accompagner mieux, et de s’appuyer sur les données et l’intelligence artificielle. »
Mais la transformation ne peut se faire sans un modèle de financement adapté à l’innovation.
« Nous n’avons pas encore trouvé le bon modèle pour financer les outils numériques souverains qui améliorent la pertinence et la coordination du soin. Il faut avancer très vite sur ce sujet. »

Sur le plan économique, elle a aussi mis en garde contre les dérives d’une financiarisation excessive.
« La santé n’est pas un marché comme les autres. Quand elle est financée à 80 % par de l’argent public, il faut éviter que des surprofits viennent déstabiliser l’équilibre global. »
Elle a évoqué notamment la bulle spéculative observée dans la biologie médicale pendant la crise Covid : « Le mal était fait avant qu’on intervienne. »

Pour préserver la souveraineté du système, elle a plaidé pour un rôle renforcé de l’État dans le capital des entreprises de santé : « Nous avons besoin de cliniques privées, d’entreprises de biologie, d’acteurs du numérique. Mais il faut qu’une part de leur capital reste dans les mains de la puissance publique. La Caisse des dépôts a ici un rôle essentiel à jouer. »

Enfin, Marguerite Cazeneuve a appelé à une réflexion collective sur la souveraineté technologique : « Nous dépendons encore trop des outils étrangers. Il faut imaginer un protectionnisme européen qui nous permette de développer une véritable industrie de la santé en France. »

Et de citer la DSI de l’Assurance maladie,(Bintou Boïté), qui conduit un travail stratégique sur la résilience numérique : « Que se passerait-il demain si nous perdions l’accès à Microsoft ou à nos serveurs ? Nous devons nous y préparer. »

Construire ensemble la souveraineté de demain

Au terme de la discussion, un consensus s’est dessiné : la souveraineté en santé ne se décrète pas, elle se construit collectivement.

Elle suppose de repenser l’organisation des soins, de redonner du sens aux métiers, d’investir dans l’innovation et de maîtriser nos infrastructures numériques.

« Pour progresser, il faut investir, pas seulement économiser », a résumé Marguerite Cazeneuve.

« La feuille de route du système de santé, c’est d’y aller à fond, de manière organisée et déterminée », a insisté Nicolas Revel.

Et Stéphane Oustric de conclure, dans un appel à la responsabilité collective :
« Il faut qu’on se respecte, qu’on se parle, qu’on agisse ensemble. Nous serons au rendez-vous. »

Cette convergence entre acteurs publics, hospitaliers et institutionnels trace les contours d’une nouvelle ambition : faire de la souveraineté en santé non pas un réflexe défensif, mais un levier de transformation, d’équité et d’innovation durable.

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